Tales of Mystery and Imagination

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Gustave Le Rouge: Spectre seul



L’Ombre semblait pleuvoir avec les fluides hachures d’une averse qui fuyait interminablement d’un ciel enfumé, pareil de ton au ciment noirci par de terreuses infiltrations, comme si cette indigente ruelle et toute la maussade ville provinciale elle-même eussent été construites sous les voûtes fangeuses de quelque réservoir souterrain. Déjà la nuit se blottissait aux angles de la triste salle de café où j’étais assis, une maladroite et rougeaude bonne n’en finissait pas de remonter – avec une foule de bruits agaçants – une demi-douzaine de lampes grinçantes, et je baillais mortellement, endolori par le tambourinement monotone des gouttes sur les vitres et le sourd pataugement des passants hâtés parmi les flaques d’eau sale.

Bientôt je m’aperçus que – depuis longtemps déjà – mes yeux distraits s’étaient fixés sur un homme à la physionomie chagrine qui, comme moi, semblait plongé dans le plus nauséeux désœuvrement. Ayant considéré attentivement – pendant que j’étais moi-même l’objet d’un pareil examen – son front dégarni, ses prunelles décolorées, ses paupières rougies et plissées d’une infinité de menues rides, sa lèvre inférieure pendante et son envahissante barbe grise, je fus saisi d’une soudaine pitié et, presqu’au même instant – avec une fulgurante rapidité – j’eus la conscience de posséder – au moins passagèrement – l’inexplicable pouvoir de m’immiscer aux plus intimes sentiments de l’inconnu et de m’identifier avec la substance de ses afflictions.

Gustave Le Rouge: Notre-Dame la Guillotine




Par toute la ville, depuis les sept longues semaines que flambait la révolte des Pauvres, les manifestations de la vie s’étaient faites souterraines et funèbres. Le bruit sommeillait, voilé d’une solennelle sourdeur de cataracte lointaine.

Le triomphe des riches n’avait point empêché la destruction d’une grande partie de la ville. Chaque nuit, d’implacables incendies rougeoyaient ne laissant qu’un chaos de ruines. Les squelettes carbonisés des arbres, les colonnes tordues des lampadaires s’enfonçaient en des perspectives de suie, en de grimaçants horizons de cendre et de plâtras, coupés de décombrales barricades, selon le pluvieux silence de l’hiver, en un pantelant qui-vive d’explosions et de meurtres.

Seul, le cœur de la ville occupé par les vainqueurs palpitait encore d’une furieuse vitalité, d’une vindicative fièvre de supplices. Cernés dans trois grandes places par l’armée, les pauvres étaient exterminés méthodiquement sans interruption, jusqu’à la tombée du soleil : la guillotine fonctionnait, les fusillades crépitaient.

En personne, Gorgius, le grand Répresseur présidait à la destruction, étonnant d’énergie malgré son âge. Grâce à lui, maintenant, la sérénité renaissait dans les cœurs ; encore un peu de sang et les pauvres allaient être définitivement humiliés, domestiqués pour des siècles. Une multitude, d’ailleurs, à cause des interruptions dans l’approvisionnement, succombait au froid, à la famine et au suicide.

Gustave Le Rouge: Le spectre rouge



Au dessert, chez le grand banquier X, on parlait socialisme et réformes politiques ; le repas commencé selon les rites d’une cérémonieuse froideur s’achevait, presque coudes sur table, au milieu du heurt étincelant des opinions ; chacun proposait pour l’attendrissement des dames, mille moyens d’amélioration au sort des déshérités ; les sentiments finissaient par venir à ces hommes de finance aussi généreux que les vins qu’ils avaient bus. L’insolence du bonheur sûr de lui semblait – en ce tiède crépuscule estival rafraîchi par la buée des sources invisibles dans la profondeur du bois, autour de cette table chargée de languissants bouquets – rayonner cruellement, en une atmosphère quasi tangible combinée du parfum des fruits, du bouquet des vins précieux et de la saveur irritante des chevelures et des chairs moites.

Dominant une ancienne et majestueuse forêt de chênes, le château découpait sur le soir les lignes sveltes de ses tourelles renaissance, la légèreté de ses balcons, féerique temple à la beauté de vivre. On descendait vers les bois par une série de terrasses étagées d’où l’on pouvait confortablement se rassasier du cercle viride de l’horizon houlant comme la mer sous le vent du couchant. Seule tare, vers l’Orient, une tache rouge et noire salissait ce paysage de paix, sept cheminées d’usine, jaillies d’un pêle-mêle de bâtisses sans gloire, s’auréolaient d’une lueur de forge et inquiétaient du halètement de leurs machines le silence auguste des futaies.

De tous les hôtes du banquier, le poète Pierre Chantenef avait peut-être été le seul à remarquer l’antithèse ; invité de hasard chez le fameux marchand d’or, il s’abstenait de la discussion qui suivait – de plus en plus animée et « intéressante » – le cours prévu de ces sortes de joutes, enrichie de paradoxes à la manière de Barrès et de citations du dernier Figaro en somme, ce flux de réminiscences banales qui remplace chez les gens de bourse ou de politique les appréciations personnelles et l’émotion intelligente.

Gustave Le Rouge: Le navire de Jules César




Kill et Murde s’étaient bercés toute leur vie du rêve de pêcher un trésor. La colonne de granit du phare de Righte qu’ils gardaient en pleine mer surgit d’un réseau d’écueils et de stroms dont les gouffres, dit-on encore maintenant, recèlent quelques-uns des navires de la légendaire Armada. Maintes fois d’ailleurs des indices indubitables étaient venus fortifier leurs croyances.

Un jour, Murde ramena entre les mailles de fer de sa drague un grand gobelet d’argent, et Kill prétendait distinguer, par les temps où l’eau était claire, la carcasse et les agrès d’un vaisseau de mille tonneaux d’un gabarit inconnu. Souvent aussi les tempêtes rejetaient à la base du phare des pièces de bois, des bouteilles endentellées de concrétions et de coquilles et jusqu’à des barriques et des coffres, mais ils ne trouvaient point de trésor.

Cependant, plus ils vieillissaient, plus ils s’entêtaient dans leur espoir. Chaque soir après avoir lu la Bible, ils allumaient leurs pipes et vidaient un bowl de grog au genièvre en faisant des projets. Murde voulait acheter aux entours de la ville un cottage de briques coloriées. Il y aurait un parloir de chêne comme celui de l’officier des douanes, et sa nièce Effie, celle qui tenait un cabaret sur le port, devenue grande dame, verserait le thé d’une bouilloire d’argent. Kill, plus ambitieux, voulait habiter Londres et voyager sur le continent ; il s’habillerait comme un gentleman, porterait une bague d’or et se ferait construire un yacht. Ils demeuraient d’accord sur un point, c’était de se partager fidèlement le trésor et de vivre toujours en bonne amitié quand ils seraient devenus riches.

Gustave Le Rouge: Dans le ventre d'Huitzilopochtli



Sur la terrasse de la villa que possède à Belle-Isle-en-Mer, l’ethnographe Bourdelier – le premier qui ait déchiffré les hiéroglyphes des temples toltèques et chichimèques –, quelques invités savouraient des boissons glacées, à l’ombre des tamarins aux grappes de corail rose, en face de la mer immense et bleue.

L’explorateur américain, Miles Kennedy, l’homme qui a parcouru seul, pendant cinq ans, la région désertique des Andes, fumait béatement, étendu dans un rocking-chair. À deux pas de lui, une jeune Anglaise demeurait silencieuse, pelotonnée sur les coussins de la guérite d’osier.

Les regards de la jeune fille ne pouvaient se détacher des mains de l’explorateur, des mains d’une cadavéreuse lividité, d’une blancheur de chlore, qui contrastaient bizarrement avec le visage bruni et tanné comme la peau d’une momie.

– Miss Rosy, dit brusquement l’Américain, parions que vous êtes en train de vous demander, de quelle fantastique maladie de peau je suis atteint ? Je tiens à vous rassurer, continua-t-il avec bonhomie. L’inquiétante décoloration de mon épiderme ne résulte pas d’une maladie, elle date du jour où j’ai été dévoré par le farouche Huitzilopochtli, le dieu de la guerre des anciens Incas.

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