I. Chalybarium
À cette heure de nuit et de paix, où les cités semblent des nécropoles, une seule ruelle tortueuse de Madrid, artère obscure, battait encore et d’un pouls violent et fébrile ; cette ruelle somnambule de cette ville endormie, c’était la Callejuela casa del Campo ; à l’une de ses extrémités s’élevait une riche demeure, habitée par un étranger, un Flamand. Les vitraux des croisées resplendissaient des feux de l’intérieur, qui les projetaient obliquement, et les découpaient sur la face noirâtre de la maison vis-à-vis, apparaissant dans l’ombre semée de gueules de fournaises, de résilles ardentes et de filoches d’or.
La porte de cet hôtel était grande ouverte, et laissait voir un vaste porche à voûte d’arête, à clef pendante, au pied d’un grand escalier de pierre, à balustrades taillées à jour comme l’ivoire d’un éventail et tout parsemé de fleurs odorantes.
C’était, pour plaisamment dire, le carnaval des murailles, toutes leurs parois étaient travesties et masquées sous des tapisseries, des velours et des lampadaires étincelants.
Quelques hallebardiers chevalaient de long en large à l’entrée.
Quand les cris de la foule, ameutée au-dehors, s’apaisaient par intervalles, on distinguait une symphonie douce et dansante qui descendait le long de l’escalier et faisait parler la voûte sonore.
Tout le palais était fêtoyant, mais une tourbe de basses gens hurlait, et se ruait à la porte ; c’étaient les orgues du temple, et tout au bas les truans sur la dalle du parvis.