À Monsieur Coquelin cadet.
Ut declaratio fiat.
J’étais invité, ce soir-là, très officiellement, à faire partie d’un souper d’auteurs dramatiques, réunis pour fêter le succès d’un confrère. C’était chez B***, le restaurateur en vogue chez les gens de plume.
Le souper fut d’abord naturellement triste.
Toutefois, après avoir sablé quelques rasades de vieux Léoville, la conversation s’anima. D’autant mieux qu’elle roulait sur les duels incessants qui défrayaient un grand nombre de conversations parisiennes vers cette époque. Chacun se remémorait, avec la désinvolture obligée, d’avoir agité flamberge et cherchait à insinuer, négligemment, de vagues idées d’intimidation sous couleur de théories savantes et de clins d’yeux entendus au sujet de l’escrime et du tir. Le plus naïf, un peu gris, semblait s’absorber dans la combinaison d’un coup de croisé de seconde qu’il imitait, au-dessus de son assiette, avec sa fourchette et son couteau.
Tout à coup, l’un des convives, M. D*** (homme rompu aux ficelles du théâtre, une sommité quant à la charpente de toutes les situations dramatiques, celui, enfin, de tous qui a le mieux prouvé s’entendre à "enlever un succès"), s’écria :
- Ah ! que diriez-vous, messieurs, s’il vous était arrivé mon aventure de l’autre jour ?
- C’est vrai ! répondirent les convives. Tu étais le second de ce M. de Saint-Sever ?
- Voyons ! si tu nous racontais - mais là, franchement ! - comme cela s’est passé ?
- Je veux bien, répondit D***, quoique j’aie le cœur serré, encore, en y pensant.
Après quelques silencieuses bouffées de cigarette, D*** commença en ces termes (Je lui laisse, strictement, la parole) :
- La quinzaine dernière, un lundi, dès sept heures du matin, je fus réveillé par un coup de sonnette : je crus même que c’était Peragallo. On me remit une carte ; je lus : Raoul de Saint-Sever. - C’était le nom de mon meilleur camarade de collège. Nous ne nous étions pas vus depuis dix ans.