Les eaux thermales de Spinbronn, situées dans le Hundsrück, à quelques lieues de Piermesens, jouissaient autrefois d’une magnifique réputation. Tous les goutteux, tous les graveleux de l’Allemagne s’y donnaient rendez-vous : l’aspect sauvage du pays ne les rebutait pas. On se logeait dans de jolies maisonnettes au fond du défilé ; on se baignait dans la cascade, qui tombe en larges nappes d’écume de la cime de rochers ; on buvait une ou deux carafes d’eau minérale par jour, et le docteur de l’endroit, Daniel Hâselnoss, qui distribuait ses ordonnances en grande perruque et habit marron, faisait d’excellentes affaires.
Aujourd’hui, les eaux de Spinbronn ne figurent plus au Codex ; on ne voit plus, dans ce pauvre village, que de misérables bûcherons, et, chose triste à dire, le Dr Hâselnoss est parti !
Tout cela résulte d’une suite de catastrophes fort étranges, que le conseiller Brêmer, de Pirmesens, me racontait l’autre soir.
– Vous saurez, maître Frantz, me dit-il, que la source de Spinbronn sort d’une espèce de caverne, haute d’environ cinq pieds et large de douze à quinze ; l’eau a soixante-sept degrés centigrades de chaleur... elle est saline. Quant à la caverne, toute couverte audehors de mousse, de lierre et de broussailles, on n’en connaît pas la profondeur, attendu que les exhalaisons thermales empêchent d’y pénétrer.
» Cependant, chose singulière, on avait remarqué, dès le siècle dernier, que des oiseaux des environs, des grives, des tourterelles, des éperviers, s’y engouffraient à plein vol, et l’on ne savait à quelle influence mystérieuse attribuer cette particularité.
» En 1801, à la saison des eaux, par une circonstance encore inexpliquée, la source devint plus abondante, et les baigneurs qui se promenaient au bas, sur la pelouse, virent tomber de la cascade un squelette humain blanc comme la neige.
» Vous jugez, maître Frantz, de l’effroi général ; on crut naturellement qu’un meurtre avait été commis les années précédentes à Spinbronn, et qu’on avait jeté le corps de la victime dans la source... Mais le squelette ne pesait pas plus de douze livres, et Hâselnoss en conclut qu’il devait avoir séjourné dans le sable plus de trois siècles, pour être réduit à cet état de dessiccation.
» Ce raisonnement, très plausible, n’empêcha pas une foule de baigneurs d’être désolés d’avoir bu de l’eau saline et de partir avant la fin du jour ; les plus véritablement goutteux et graveleux se consolèrent... Mais la débâcle continuant, tout ce que la caverne renfermait de débris, de limon et de détritus fut dégorgé les jours suivants ; un véritable ossuaire descendit de la montagne : des squelettes d’animaux de toute sorte... de quadrupèdes, d’oiseaux, de reptiles... bref, tout ce qui se pouvait concevoir de plus horrible.
» Hâselnoss fit paraître aussitôt un opuscule, pour démontrer que tous ces ossements provenaient d’un monde antédiluvien ; que c’étaient des ossements fossiles accumulés là dans une sorte d’entonnoir pendant le déluge universel... c’est-à-dire quatre mille ans avant le Christ, et que, par conséquent, on pouvait les considérer comme de véritables pierres, et qu’il ne fallait pas s’en dégoûter... Mais son ouvrage avait à peine rassuré les goutteux, qu’un beau matin, le cadavre d’un renard, puis celui d’un épervier avec toutes ses plumes, tombèrent de la cascade.