Tales of Mystery and Imagination

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Jean Lorrain (Paul Alexandre Martin Duval): Histoire de la bonne Gudule

Jean Lorrain



Mme de Lautréamont habitait la plus belle maison de la ville : c'était l'ancien hôtel de la Recette générale, bâti sous Louis XV (excusez du peu !) et dont les hautes fenêtres, ornementées d'attributs et de coquilles, faisaient l'admiration de quiconque passait sur la grande place les jours de marché. C'était un grand corps de logis, flanqué de deux ailes en retour réunies par une large grille : la cour d'honneur avec, derrière le bâtiment principal, le plus beau jardin du monde. Il descendait de terrasse en terrasse, jusqu'aux bords des remparts, dominait trente lieues de campagne et, de la plus belle ordonnance Louis XV, abritait dans ses bosquets des statues licencieuses, toutes plus ou moins lutinées par les Ris et l'Amour.

Quant aux appartements, ils étaient lambrissés de panneaux sculptés du plus charmant effet, ornementés de trumeaux et de glaces, et les parquets de tout le rez-de-chaussée, curieusement incrustés de bois des Iles, luisaient comme des miroirs. Mme de Lautréamont n'habitait que le corps principal, elle avait loué des pavillons des ailes à de solides locataires et s'en faisait de bonnes rentes ; il n'était personne qui n'enviât d'habiter l'hôtel de Lautréamont, et c'était le sempiternel sujet des conversations de la ville.

Cette Mme de Lautréamont ! Elle était née les mains pleines et avait toujours eu toutes les chances : un mari bâti comme Hercule tout à ses volontés, et qui la laissait s'habiller à Paris, chez le grand faiseur ; deux enfants qu'elle avait bien établis, la fille mariée à un procureur du roi, et le fils déjà capitaine d'artillerie ou en passe de l'être ; le plus beau logis du département, une santé qui la faisait encore fraîche et, ma foi, désirable à plus de quarante-cinq ans et, pour entretenir cette demeure princière et cette santé presque indécente, une domestique comme on n'en fait plus, le phénix, la perle rare des servantes, tous les dévouements, toutes les attentions, toutes les honnêtetés incarnés dans la bonne Gudule.

Grâce à cette fille merveilleuse, Mme de Lautréamont arrivait avec trois domestiques, un jardinier, un valet de chambre et une cuisinière, à entretenir son immense maison sur un pied de soixante mille livres de rentes. C'était, sans contredit, la demeure la mieux tenue de la ville : pas un grain de poussière sur le marbre des consoles, des parquets dangereux à force d'être cirés, de vieilles glaces devenues plus claires que l'eau des fontaines et partout, dans tous les appartements, un ordre, une symétrie qui faisaient citer l'ancien hôtel de la Recette comme la première maison de province, avec cette phrase désormais consacrée pour désigner un logis très soigné : "C'est à se croire chez les Lautréamont".

L'âme de cette demeure étonnante se trouvait être une bonne vieille fille aux joues encore fraîche, aux petits yeux naïfs et bleuâtres, et qui du matin au soir, le plumeau ou le balai à la main, sérieuse, silencieuse, active, n'arrêtait pas de frotter, de brosser, d'épousseter, de faire briller et reluire, ennemie déclarée de tout atome de poussière. Les autres domestiques la redoutaient un peu : c'était une terrible surveillance que celle de la bonne Gudule. Dévouée tout entière aux intérêts des maîtres, rien n'échappait à son petit oeil bleu ; toujours au logis avec cela, car la vieille fille ne sortait que pour assister aux offices des jours de fête et des dimanches, assez peu dévote, ma foi, et nullement assidue à la messe de six heures, ce prétexte de sortie journalière de toutes les vieilles servantes.

Jean Lorrain (Paul Alexandre Martin Duval): Les trous du masque



I
« Vous voulez en voir, m’avait dit mon ami de Jakels, soit, procurez-vous un domino et un loup, un domino assez élégant de satin noir, chaussez des escarpins et, pour cette fois, des bas de soie noire et attendez-moi chez vous mardi. Vers dix heures et demie, j’irai vous prendre. »
Le mardi suivant, enveloppé dans les plis bruissants d’un long camail, un masque de velours à barbe de satin assujetti derrière les oreilles, j’attendais mon ami de Jakels dans ma garçonnière de la rue Taitbout, tout en chauffant aux braises du foyer mes pieds horripilés par le contact irritant de la soie ; dehors les cornets à bouquin et les cris exaspérés d’un soir de carnaval m’arrivaient confus du boulevard.
Assez étrange et même inquiétante à la longue, en y réfléchissant, cette veillée solitaire d’une forme masquée affalée dans un fauteuil, dans le clair obscur de ce rez-de-chaussée encombrés de bibelots, assourdi de tentures avec, dans les miroirs pendus aux murailles, la flamme haute d’une lampe à pétrole et le vacillement de deux longues bougies très blanches, sveltes, comme funéraires ; et de Jakels n’arrivait pas. Les cris des masques éclatant au loin aggravaient encore l’hostilité du silence, les deux bougies brûlaient si droites qu’un énervement finissait par me prendre et, soudain effaré devant ces trois lumières, je me levai pour aller en souffler une.
En ce moment, une des portières s’écartait et de Jakels entra.
De Jakels ? Je n’avais entendu ni sonner ni ouvrir. Comment s’était —il introduit dans mon appartement ? J’y ai songé souvent depuis ; enfin de Jakels était là devant moi ; de Jakels ? C’est-à-dire un long domino, une grande forme sombre voilée et masquée comme moi : « Vous êtes prêt, interrogeait sa voix que je ne reconnus pas, ma voiture est là, nous allons partir. »

Jean Lorrain (Paul Alexandre Martin Duval): Un crime inconnu



"Préservez-nous, Seigneur, de la chose effrayante qui se promène la nuit".
(Le Roi David)

"Ce qui peut se passer dans une chambre d'hôtel meublé une nuit de mardi gras, non, cela dépasse tout ce que l'imagination peut inventer d'horrible !" Et, s'étant versé de la chartreuse plein son verre, un grand verre à soda, de Romer vidait ce verre d'un trait et commençait :

"C'était il y a deux ans, au plus fort de mes troubles nerveux. J'étais guéri de l'éther, mais non des phénomènes morbides qu'il engendre, troubles de l'ouïe, troubles de la vue, angoisses nocturnes et cauchemars : le solfanol et le bromure avaient déjà eu raison de pas mal de ces troubles, mais les angoisses néanmoins persistaient. Elles persistaient surtout dans l'appartement que j'avais si longtemps habité avec elle, rue Saint-Guillaume, de l'autre côté de l'eau, et où sa présence semblait avoir imprégné les murailles et les tentures de je ne sais quel délétère envoûtement : partout ailleurs mon sommeil était régulier, mes nuits calmes, mais à peine avais-je franchi le seuil de cet appartement que l'indéfinissable malaise des anciens jours corrompait l'atmosphère ambiante autour de moi ; d'irraisonnées terreurs me glaçaient et m'étouffaient tour à tour. C'étaient des ombres bizarres se tassant hostilement dans les angles, d'équivoques plis dans les rideaux et les portières tout à coup animées de je ne sais quelle vie effrayante et sans nom. La nuit, cela devenait abominable ; une chose horrible et mystérieuse habitait avec moi dans cet appartement, une chose invisible, mais que je devinais accroupie dans l'ombre et me guettant, une chose ennemie dont je sentais parfois le souffle passer sur mon visage, et presque à mes côtés l'innomable frôlement. C'était une sensation affreuse, messieurs, et s'il me fallait revivre dans ce cauchemar, je crois que j'aimerais mieux... mais passons...

"Donc j'en étais arrivé à ne plus pouvoir dormir dans mon appartement, à ne plus pouvoir même l'habiter et, en ayant encore pour une année de bail, j'avais pris le parti d'aller loger à l'hôtel. Je ne pouvais toutefois m'y tenir en place, quittant le Continental pour l'hôtel du Louvre, et l'hôtel du Louvre pour d'autres plus infimes, dévoré d'une tracassante manie de locomotion et de changement.

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