L'empereur Frédéric Bartaronsse, dûment chapitré par te grand conseil de Venise, venait, après bien des refus, de rendre hommage à Sa Sainteté le pape Alexandre III, lequel, peur pénitence de sa rébellion et d'une foule d'antres très-détestables péchés, l'avait envoyé en terre sainte combattre les iniièlefl.
Or donc, quand il fut décidé à partir, Frédéric envoya dans tout son empire une grande foule de hérauts d'armes pour appeler et convoquer, près de lui, tout d'abord le ban et l'arrière-haa de ses hauts barons et de ses hommes liges ; puis, tous les boa» bourgeois de ses bonnes villes, et finalement tous* ses loyaux et fidèles sujets, nobles et roturiers, boupgeoiset vilains.
Beaucoup arrivèrent au premier appel et prirent la croix de grand cœur pour suivre leur empereur en Palestine ; mais beaucoup aussi firent répéter la convocation deux fois, parce qu'ils préféraient ensemencer leurs terres et garder leur foyer à chevaucher pair monts et par vaux dans des pays inconnus, et mieux aimaient gagner des indulgences à dire des Ave Maria sous le porche de leur église, que pourfendre les Sar-rasins vers Damas ou Saint~Jean-d'Acre.
Cependant, peu à peu, tous les bons Allemands en état de porter les armes furent amenés sous la bannière orange et noire de Barberousse, et prirent la route de l'Asie pour aller se faire décimer par la famine, la peste et le feu grégeois. Et, pendant ce tempsr là, pendant de longues années que l'Allemagne attendit ses enfants et son empereur qui ne devaient jamais revenir, tout alla vraiment au plus mal dans l'empire.
D'abord, dans les campagnes les bras forts manquaient pour travailler la terre, et les moissons, cultivées par les vieillards et les enfants, ns venaient point à bien ; dans les villes et dans les châteaux forts, les seigneurs, toujours en guerre les uns contre les autres, détruisaient les édifices et ruinaient le commerce; sur le Rhin, partout les communications étaient coupées et la navigation interrompue. Pour comble de malheur, il semblait que tous les esprits malfaisants qui hantaient alors les contrées germaniques, sans nul égard pour le pieux dévouement des croisés , eussent redoublé de rage et d'adresse pour tourmenter les vieillards infirmes et les pauvres veuves.
Jamais peut-être les gnomes et les lutins des forêts de Hartz et du Niederwald ne se montrèrent plus remuants et ne firent de plus méchants tours aux ménagères qui gardaient seules leurs chaumières, ou aux voyageurs attardés dans les chemins; jamais les fées de la Lorely ne furent plus cruelles et plus décevantes aux pêcheurs et aux bateliers; jamais enfin les fantômes, les stryges et les vampires des bords du Danube ne dormirent moins tranquillement dans leurs tombeaux : enfin, c'était une véritable désolation !