Il était immobilisé dans son lit, les deux jambes fracturées. Depuis six semaines, il en était réduit à regarder fixement le plafond. Depuis six semaines, il cherchait en vain dans ce désert de plâtre un détail, une fissure, une tache, n'importe quoi, quand un matin, il vit la chose, là dans un coin, près de la fenêtre.
Il eut un sursaut de joie. Avidement, il s'attacha à suivre le point rouge qui bougeait, car il bougeait, il bougeait oui, rapide et cependant si lent car si minuscule. Elle suivait des yeux, affolé à l'idée de le perdre de vue. Ce point rouge qui venait de sortir d'un angle du plafond, c'était une fourmi.
Après quelques secondes, elle parut hésiter, elle revint sur ses pas, s'arrêta un instant près d'un angle du plafond,
elle dut lancer quelques signaux, car aussitôt une autre fourmi apparut.
Elles s'avancèrent, mais se séparèrent très vite. Et venant de deux endroits différents, d'autres fourmis apparurent.
Immédiatement, en quelques virevoltes bien réglées, elles se rangèrent en patrouilles de six unités.
Le malade regardait toujours avec la même avidité, souriant, ébloui, subjugué.
Une heure plus tard, tout le plafond grouillait de caravanes dont la plus importante filait vers le mur, lourde et rouge comme un caillot de sang vivant.
Les groupes correspondaient sans cesse entre eux, chaque mouvement paraissait' médité, et des patrouilles allaient sans cesse d'un groupe à l'autre, donnant des ordres pendant que d'autres groupes semblaient assurer la circulation qui était d'ailleurs très ordonnée.
Le malade souriait toujours, empoigné, étourdi de plaisir et d'étonnement.
Vers une heure, l'année tout entière avait abandonné le plafond et se trouvait groupée verticale à quelques
millimètres de la jonction entre le mur et le parquet. Elle s'arrêta là.
Une patrouille de quelques fourmis se détacha du bloc, elle se dirigea vers un point du parquet et, de ce point,
venant de quelque gouffre dissimulé sous les lattes, une autre gorgée de fourmis se répandit sur le plancher...
Cette invasion devait être le signal attendu, car toute l'armée qui venait du plafond descendit en masse vers le
parquet, opérant la fusion au ralenti, sans le moindre désordre.
Vers deux heures de l'après-midi, le malade brusquement cessa de sourire. Il arrivait sans cesse d'autres faisceaux de fourmis de renfort qui venaient du plafond, du sol, du mur et tout le plancher n'était plus qu'un énorme terrain de manœuvres.
Mais le malade ne sentit vraiment la peur que lorsqu'il vit toute l'armée s'immobiliser. Il attendit quelques secondes.
Bientôt arriva ce qu'il attendait: une fourmi avait atteint le drap de lit, elle se dressait sur ses pattes; indiquant et
signalant, elle semblait scruter l'horizon, l'avenir, les choses et le but à atteindre.
Une deuxième fourmi apparut. La première redescendit. Et toute l'armée se remit à bouger.
Alors, pris de panique, le malade s'empara de la poire électrique qu'il avait à portée de ses doigts. Il se mit à sonner, il appuya de plus en plus fort, mais en vain. Aucun son, il n'y avait plus aucun son à attendre; les fourmis avaient prévu ce geste et depuis bien longtemps elles avaient coupé les fils.
No comments:
Post a Comment