Ce ne fut que vers huit heures du soir, quand la nuit allait lui sauter à la gorge, comme un chat sauvage, que le pêcheur sentit soudain le froid.
Il était arrivé devant ce plan d’eau à l’aube, il n’avait pas pris le moindre poisson. Cela lui parut inquiétant. Comme tous les pêcheurs, il n’avait que peu de cervelle et peu de faculté de raisonner, mais il pensa quand même qu’il prenait toujours au moins un poisson, même dans les étangs morts que l’on prétendait peu poissonneux.
De là à penser à la poisse, il n’y avait qu’un pas. Il le franchit et s’obstina. Il ne voulait pas rentrer bredouille. Il accrocha un nouvel hameçon à sa ligne, la lança et se mit à penser. Il se demanda pourquoi il était venu là, qui lui avait indiqué cet endroit, comment il était arrivé jusque-là, pourquo il s’obstinait, et il ne trouva pas de réponse à ses questions relativement complexes.
Il en était là quand soudain son bouchon plongea sous l’eau. Il avait enfin accroché un poisson. Un gros poisson sans doute parce qu’il n’arrivait pas à l’arracher à l’eau. Cela dura longtemps, cette lutte. Mais le poisson résistait. Et le pêcheur résistait aussi. Comme s’il avait pris dans un bloc de glaise ou de glace, relié par sa ligne à un autre bloc de glaise, l’homme se paralysait dans son geste de tirer à lui quelque chose qui ne voulait pas venir à lui et puisque le poisson ne cédait pas, il ne cédait pas non plus. Un seul fait lui importait : il avait enfin pris quelque chose alors que, depuis ce matin, il n’avait rien pris. Quelque chose d’énorme puisque ça lui résistait alors qu’il tirait de toutes ses forces.
A minuit, il tirait toujours ; Epuisé, glacé, essoufflé.
A l’aube du lendemain, alors qu’il respirait à peine, il vit enfin le poisson qu’il avait harponné. Il sortait en effet des eaux. C’était une chose translucide, apparemment molle, qui ne semblait pas avoir de contours, mais qui pesait de tout son poids alors qu’elle ne semblait pas avoir de réalité. Et l’homme tirait toujours, alors qu’il n’avait plus de force en lui.
Et il ne voyait jamais qu’une chose qui sortait peu de l’eau, de plus en plus irréelle, de plus en plus lourde comme sans cesse gorgée de plus en plus d’eau ou d’algues invisibles.
Jusqu’au moment où, soudain, il bascula en avant, vers l’eau.
On ne retrouva le pêcheur que quelques jours plus tard, noyé, boursouflé entre deux gerbes d’algues, toujours accroché à sa ligne.
Ce qu’il avait cru retirer des eaux, c’était la mort.
Pas un simple poisson.
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